« Une fondation actionnaire suppose une vision de long terme, la volonté de contribuer à l’intérêt général et d’inventer une nouvelle gouvernance »

 

Tribune de la communauté De Facto dont SeaBird Impact est membre.
Publié le 26 octobre 2020 dans Le Monde 

Les protagonistes de l’opération financière qui fait actuellement la une de la presse économique entre Veolia et Suez semblent à première vue donner plus de visibilité à la loi du 22 mai 2019 « relative à la croissance et la transformation des entreprises », dite loi PACTE : Veolia, Suez et Engie ont élaboré leurs « raisons d’être », tandis que Meridiam est une « société à mission », deux innovations phares de cette loi.

Pourtant, l’évolution de leurs modèles de gouvernance se heurte à la dure réalité d’un capitalisme actionnarial, qui n’a jamais eu pour usage de s’encombrer des intérêts des parties prenantes. Pour se protéger du rachat de Véolia, Suez a ainsi décidé de transférer les titres de sa filiale eau au sein d’une fondation de droit néerlandais, non par préoccupation philanthropique, mais pour défendre ses intérêts en devenant temporairement incessible à son concurrent.

Avant cela, Patrick Drahi avait créé un fonds de dotation pour y loger les titres du journal Libération. Y-a-t-il de sa part une sincère et véritable intention philanthropique qui a pour but la préservation des intérêts de Libération et, au-delà, la liberté et l’indépendance de la presse ? Si personne n’est dupe, il serait préjudiciable que ces initiatives jettent le discrédit sur le bien-fondé d’un modèle très exigeant et vertueux : celui de la fondation actionnaire, dont elles semblent être une pâle imitation.

Intérêt général et préservation du capital et de l’emploi

Transmettre une entreprise à une fondation ne consiste ni à s’en débarrasser, ni à augmenter son pouvoir de négociation dans le cadre de tractations commerciales, ni à s’enrichir personnellement. La création d’une fondation actionnaire est un engagement majeur, qui suppose une vision de long terme, la volonté de contribuer à l’intérêt général par des actions philanthropiques, et la conviction que le modèle capitaliste traditionnel s’essouffle et qu’il faut inventer de nouveaux modes de gouvernance et de propriété.

Renoncer à vendre une entreprise pour la transmettre à une fondation ou à une structure d’intérêt général assimilée requiert détermination et altruisme. Aujourd’hui, en France, une quinzaine de fondateurs et propriétaires d’entreprises françaises, réunis au sein de la communauté De Facto, se sont engagés sur la voie de la fondation actionnaire. Ils ont décidé de transférer tout ou partie de leurs titres de façon irréversible à une structure à but non lucratif, d’intérêt général et sans propriétaires.

L’engagement des fondateurs est d’une part au service de l’intérêt général, à travers le soutien à des causes philanthropiques. Il est d’autre part de nature économique et patrimoniale, en protégeant l’entreprise des rachats hostiles, en préservant le capital, la mission et l’emploi sur le territoire.

Le modèle de fondation actionnaire est vertueux

Dans le sillage des quelques fondations reconnues d’utilité publique qui sont actionnaires d’entreprises emblématiques comme les laboratoires Pierre Fabre ou le groupe Avril, ces entrepreneurs de tous les horizons choisissent pour la majorité le statut du fonds de dotation. Aucun n’a encore choisi le fonds de pérennité créé dans le cadre de la loi Pacte, dont on peut regretter que la dimension philanthropique ne soit qu’accessoire.

Car nous sommes convaincus que le modèle de fondation actionnaire est vertueux et que les missions économique et philanthropique, loin de se « contaminer » comme certains le craignent encore, se fertilisent.

Alors que la pandémie de Covid-19 a particulièrement affecté l’économie mondiale, que des milliers d’entreprises en France ferment par manque de repreneurs chaque année, le modèle de fondation actionnaire gagnerait à être davantage connu et encouragé… Et ce, pour de bonnes raisons !

 

Virginie Seghers, Présidente de la société de conseil en stratégie Prophil, s’exprime dans cette tribune au nom de la communauté « De Facto » – Dynamique européenne en faveur des fondations actionnaires.