L’intégration de critères non financiers dans une politique d’investissement peut répondre à différentes exigences de la part de l’investisseur (France Assureurs, 2018, pp. 27-28) :
- conformité : intégrer des critères pour répondre à la réglementation, contraignante ou non (Déclaration universelle des droits de l’homme, Pacte Mondial des Nations Unies, SFDR, Loi Énergie-Climat, etc.) ;
- éthique : définir un socle de valeurs, qui entraîne le plus souvent l’exclusion de pratiques jugées inacceptables, bien que légales (les secteurs du tabac, de l’alcool ou des armes, font par exemple souvent l’objet d’une exclusion) ;
- performance extra-financière : sélectionner des investissements en fonction de leur notation ESG, sur la base de stratégies dites de « best in class » (entreprises présentant la meilleure performance ESG dans un secteur donné), de « best in universe » (meilleure performance ESG tous secteurs confondus) ou de « best effort » (entreprises qui présentent la meilleure progression de leur performance ESG au fil du temps) (AMF, 2021).
Christophe Revelli, chercheur spécialiste de la finance durable à Kedge Business School, rappelle l’importance pour l’investisseur de définir une intention préalable, qui guidera la sélection des investissements en fonction des exigences posées et de la contribution désirée : « Impact et double matérialité sont sur toutes les lèvres, mais en réalité l’ESG reste orienté par sa matérialité financière : les investisseurs y prêtent attention pour afficher des bons scores et limiter les risques de réputation. Ils achètent des bases de données externes pour remplir leurs tableurs et cocher des cases, mais perdent de vue ce qu’ils veulent mesurer, et pourquoi ils investissent. Beaucoup d’investisseurs se contentent de suivre la réglementation sans afficher leur intention d’investissement.
Or, c’est dans cette thèse d’investissement qu’il faut replacer une logique de soutenabilité. Aujourd’hui, pour la majorité des acteurs, l’intentionnalité est financière. Or, pour avoir un impact il faut définir une intentionnalité en amont de l’investissement : c’est elle qui devrait déterminer à la fois la composition du portefeuille et les exigences de l’investisseur vis-à-vis de son portefeuille. En découlent ensuite la politique d’engagement actionnarial et la performance ESG recherchée dans les actifs sélectionnés.
Mais cela suppose d’avoir du temps à consacrer à chaque entreprise : disposer d’analystes qui s’attardent sur les données transmises, prévoir des échanges réguliers avec les dirigeants sur la stratégie, envisager les enjeux ESG à l’échelle locale, etc. Une approche radicalement incompatible avec la gestion indicielle passive. Beaucoup de fonds s’engagent sur cette voie, principalement des fonds à impact. Mais ils restent largement minoritaires par rapport aux principales sociétés de gestion. On touche ici aux règles du jeu du système, et seuls des acteurs systémiques comme les grandes banques ou assurances sont à-même de les faire évoluer ».
Cette intention peut guider la sélection des actifs dans lesquels les assureurs investissent directement, mais aussi les mandats qu’ils confient à des sociétés de gestion. Ils peuvent notamment travailler avec elles à la création de fonds dédiés, afin de sélectionner des actifs qui apportent une contribution spécifique en ligne avec cette thèse d’investissement*. S’impliquer ainsi dès la création du fonds permet à l’assureur de rechercher des synergies entre ses activités et celles des entreprises financées (voir l’entretien avec Cécile Cabanis, p. 114). S’il n’est pas impliqué lors de la création du fonds, l’assureur peut inscrire ses critères extra-financiers dans le mandat de gestion confié à la société de gestion, la laissant libre de sélectionner les investissements qui répondent à ces critères. C’est l’approche retenue par une initiative en faveur de la biodiversité, lancée fin mars 2024, par dix investisseurs institutionnels – parmi lesquels un certain nombre d’assureurs**.
Afin d’endosser le « rôle majeur » qu’ils ont dans la « réorientation des flux financiers en faveur de la biodiversité», ces investisseurs rassemblent leurs fonds et leur expertise – appuyés par des conseillers scientifiques –, pour confier des mandats à des sociétés de gestion fondés sur leurs approches « innovantes » et «mieux-disantes » en matière de biodiversité (CDC, 2024).
Définir cette intention est crucial : privilégier certains critères extra-financiers peut mener à des arbitrages qui pèsent sur la rentabilité ou le risque des actifs. Si certaines bonnes pratiques ESG présentent aussi un bénéfice financier (isolation des bâtiments, diminution des kilomètres parcourus, etc.), d’autres représentent un coût net pour l’entreprise (par exemple l’investissement nécessaire à la décarbonation des cimenteries ou des aciéries, ou le maintien d’un salaire décent), qui pourrait entraîner un retour négatif sur investissement, y compris à long terme.
Ainsi, en définissant leur politique d’investissement les assureurs sont invités à sélectionner des projets et des entreprises qui, indépendamment de leur rentabilité, doivent nécessairement s’inscrire dans une démarche de transition et de redirection. Sous ce prisme, la question de la performance n’intervient que dans un second temps : il s’agit de sélectionner les meilleurs investissements dans un éventail des possibles réduit. Et la définition de cette performance elle-même se trouve modifiée, ajoutant à la rentabilité et au risque de l’actif des critères de soutenabilité pour l’entreprise sous-jacente.